À propos du numérique, et spécifiquement des manuels scolaires, à entendre le vice-président aux lycées de la Région Île-de-France qui présidait le CIEN du 16 septembre 2025, c’est bien simple : personne n’a rien compris. Personne, à part Libération, qui, c’est bien connu, n’a pas l’habitude de faire des cadeaux à la collectivité dirigée par Valérie Pécresse, et dont un « reportage » de 330 mots, le 30 août, révèle le pot-aux-roses. Derrière cette sombre histoire d’éradication des manuels scolaires, pour reprendre le mot d’une tribune publiée dans l’édition numérique du Monde le 2 septembre, il est probable que se trouvent les éditeurs. Vivant de leurs rentes, il aurait fallu que « les éditeurs se réveillent avant » (Libération) , et leur « courroux » vient surtout de ce qu’ils « ont réalisé qu’ils étaient en retard dans la qualité des manuels dématérialisés » (James Chéron, vice-président aux lycées). Le lancement des manuels libres, issus d’un « rapport partenarial » entre la région et la région académique, et implantés de façon native dans l’interface Pearltrees, épargne par ailleurs les deniers publics, alors que selon M. Chéron, 75 % des licences numériques payées l’an dernier n’ont pas été utilisées. Il serait intéressant, nous semble-t-il, d’avoir cette donnée pour l’utilisation de ces manuels libres mis à disposition via Pearltrees, car les retours des établissements ne sont pas bons.
La région est tombée des nues, nous dit encore M. Chéron, quand le sujet des manuels a surgi dans l’actualité, et qu’il fait encore l’objet de plusieurs interventions lors du CIEN du 16 septembre. Il s’emploie donc à rétablir « certaines vérités » (ou comme le dit le service de com de la région, à combattre trois « intox ») :
– « la région n’impose rien entre les manuels en papier et les manuels numérique », et d’ailleurs, « nous n’avons pas d’avis à donner » ;
– le choix qu’ont fait les établissements en 2019 entre le papier et le numérique, « n’a jamais été remis en cause » ;
– « le numérique n’est pas obligatoire », et « non les manuels papiers ne sont pas un luxe ».
On pourrait bien sûr penser, comme M. Chéron, qu’il faut prendre en compte « la complétude des remontées » à propos des manuels libres, et qu’il se trouve sûrement des collègues enthousiastes (au passage, Libération n’en cite que deux, ça ne fait quand-même pas lourd).
Mais dans ce qu’en disent les militant·es d’établissement, depuis la fin de l’année dernière, tout indique au contraire que le réassort des collections de manuels papiers n’est plus possible, faute de crédits fléchés, et parce que le choix de la région Île-de-France dissuade probablement certains éditeurs de rééditer les manuels sortis après les changements de programme de 2019. Dans les établissements qui, malgré les pressions, s’en étaient tenus au papier à l’époque, il n’y a plus assez de manuels pour tous les élèves. Pour les versions numériques, évidemment, les éditions ne sont pas épuisées… mais là encore, faute de crédits suffisants, et parce qu’il faut racheter les licences chaque année, les équipes doivent choisir : il n’y aura pas de licences pour toutes les classes et toutes les disciplines.
Les syndicats de la FSU s’emploient à faire le bilan de la situation dans les lycées généraux, technologiques, professionnels et agricoles des trois académies. Prenons au mot M. Chéron : « pour le réassort, s’il y a un blocage, qu’on nous le signale ». Rappelons que des lycées n’ont pas été dotés de manuels papier en 2019 : face à une promesse d’améliorer les installations numériques de l’établissement, des lycées (ou des chefs d’établissement, contre l’avis des collègues) n’ont eu que des manuels numériques, dont il a fallu payer les licences chaque année. Les collègues de ces lycées ont eu l’impression d’avoir été bernés : aujourd’hui, ils n’ont plus les moyens de financer leurs manuels numériques et n’ont pas comme ailleurs des éditions papier pour pallier le manque de financement de la région. Ou alors ils doivent les financer avec les fonds propres de l’établissement, quand c’est possible.
Quant aux manuels libres proprement dit, ainsi que les représentant·es de la FSU au CIEN ont tâché de le faire comprendre, ce n’est pas qu’une question de contenu, ni qu’une question de principe (le libre choix du manuel), mais avant tout une question pratique. Qui s’est un peu penché sur les manuels disponibles peut le comprendre aisément : dans l’immédiat, l’aspect granulaire est le problème. Il n’est pas possible d’afficher deux granules, ou « perles », en même temps (impossible par exemple de lire les questions en ayant un document sous les yeux) ; aucun parcours explicite n’apparaît dans les « collections » (les dossiers), puisqu’il n’y aucun travail d’édition proprement dit comme c’est le cas dans une page ou une double-page ; l’édition même des documents est très rudimentaire, la typographie limitée, ne permettant pas ou peu, par exemple pour un document littéraire, de distinguer le texte du paratexte.
Et que dire pour finir de ce qui se passe pour de vrai dans une classe, lorsqu’il faudrait que les ordinateurs des élèves, l’écran numérique interactif ou le vidéoprojecteur, les enceintes, enfin toutes ces machines fragiles, coûteuses et pas toujours très bien entretenues, fonctionnent comme sur des roulettes ? Et dans l’enseignement agricole, les manuels professionnels spécifiques de la maison d’édition du ministère de l’agriculture n’ont pas été repris dans Pearltrees, et les enseignant·es ne peuvent d’ailleurs s’y connecter.
Il est donc bien dans l’intention de la FSU Île-de-France et de ses syndicats de continuer à troubler la quiétude de la région en cette rentrée sur ce point. La suggestion faite par M. Chéron de profiter des 100€ proposés dans l’application LABAZ (qui peuvent aussi servir aux activités sportives et culturelles) pour faire acheter aux élèves les manuels choisis par leurs enseignant·es ne nous suffira pas !
À bout d’arguments, M Chéron a fini par rappeler que le financement des manuels scolaires par la région n’est pas obligatoire, que d’autres collectivités territoriales s’en abstiennent et alors ce sont les familles qui paient, avec souvent des bourses aux livres organisées localement et un marché de l’occasion qui se met en place. Est-ce que la région tient à en arriver là ? Nous avons rappelé que la participation aux travaux de rénovation des lycées privés, que la région Île-de-France finance au maximum autorisé par la loi chaque année, n’est pas obligatoire non plus, des régions s’abstiennent.
Les trois sections franciliennes du SNES-FSU seront reçues le mardi 23 septembre en audience par la rectrice de région académique pour évoquer à nouveau le sujet, sans laisser caricaturer nos positions : les élèves de nos trois académies doivent pouvoir étudier dans de bonnes conditions et pour cela, il faut des moyens financiers, que ce soit pour des manuels papiers ou numériques.